mercredi 16 mars 2011

Le type en rogne contre l'auteur du bouquin


Le type qui en veut, presque systématiquement, à l’auteur du livre qu’il est en train de dévorer. Avec Javier Cercas – A la vitesse de la lumière -  ça l’a pris lorsque, peu après la moitié de l’ouvrage, le personnage perd sa femme et son fils, dans des circonstances accablantes de culpabilité. D’accord, on ne peut nier que l’élément dramatique, bien que convenu, est particulièrement fort, et qu’il relance efficacement l’attachement – l’identification compassionnelle, l’eleos grecque – au héros. Et il est exact que cette relance dramatique, le type qui lisait l’attendait, et qu’il l’attendait percutante, connaissant son Cercas. Déjà, dans Les Soldats de Salamine, le type avait ressenti une certaine déception mêlée d’agacement lorsque, à la fin, le héros/l’écrivain/leJavierCercasRéinventé retrouvait miraculeusement la pièce manquante de son puzzle historique. Etait-ce le journaliste et écrivain Javier Cercas qui avait mis la main sur l’ancien militant républicain Miralles ? (Dans ce cas Miralles était-il, oui ou non, le héros magnanime qui laissa la vie à Sanchez Mazas, le phalangiste, l’autre personnage central du roman ?) Ou était-ce le narrateur Cercas qui avait carrément inventé Miralles ? Bon, le type comprenait bien que l’auteur était tout à fait dans son droit en manipulant son récit et ses lecteurs. Cela était même le devoir, si l’on peut s’exprimer ainsi, du romancier, du bon romancier. L’illusion seule va vers la vérité – même si ce n’est pas en ligne droite : le type était prêt à faire sienne la maxime, quasi explicite, de ce « récit réel » en abyme. Le type, lui, l’aurait plutôt formulé comme cela : en art, (comme en amour), il n’y a pas de fausse morale qui tienne. Seul vaut le résultat : car en littérature comme en amour, la fin est le moyen. Mais tout de même, là, dans A la vitesse de la lumière, c’en était trop : tuer femme et enfant, si cela ne contient pas une part de vérité vraie dans la vraie vie, c’est…c’est, plus qu’immoral, sacrilège, et poisseux de tristesse ! Et en plus ça ne le fait pas, se disait le type, car, comme ce pervers de Carcas/narrateur l’écrivait lui-même, la pente qui mène le sentiment au sentimentalisme est glissante. Le type se dit qu’il fallait faire qqchose. Mais quoi, arrêter la lecture ? La frappe nucléaire, tout de suite ? Et une bombe qui ne dévasterait que son envoyeur, en fait, car qu’en aurait foutre Cercas, si même il l’apprenait un jour, que le type ait fait la grève de la lecture ? Alors quoi, lui écrire ? Faire un article ? Le type n’était pas écrivain, lui. Ou, s’il l’était (en tant que narrateur de quelque futur roman vicieux), il n’était pas sûr de vouloir attaquer comme cela, de face, un romancier aussi sympathique, par ailleurs, que cet Espagnol roué, mais franc dans son mensonge. Droit dans sa tricherie, l’enfoiré, se dit le type en souriant. 

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