mardi 29 novembre 2011

Le type qui émiette en chemin sa baguette de pain

Le type qui sort de la boulangerie et commence à grignoter sa baguette frâichement sortie du four, miette après lichette après miette. Quand je serai parvenu à la maison, songe-t-il, mon pain quotidien sera presque entièrement consommé. C'est chemin faisant, et sans y penser, que la vie s'accomplit puis s'achève.

mardi 22 novembre 2011

Le type qui met le butoir métallique dans la tirette

Le type qui a lu un livre poignant de 450 pages, parlant de la disparition d'un enfant, et qui en retient un seul bout de phrase : "introduire le minuscule butoir métallique dans la tirette" (afin d'user de la fermeture Eclair).

mardi 20 septembre 2011

Le type qui avait un camarade


Le type qui fait collec. des écrits morbides.

« J’avais un camarade
Un meilleur tu n’en auras pas !
Arrive une balle qui vole
Est-ce pour toi
Est-ce pour moi »...

(in Journal d'un homme de quarante ans, Jean Guéhenno)

jeudi 11 août 2011

Le type qui autrefois...

Le type qui autrefois se promit d’écrire 1000 mots par jour. Discipline et quantité parrains de l’inspiration, théorisait-il. L’inspiration venait rarement; la discipline jamais. Et à la fin du jour le compte n’y était pas. La nuit, direz-vous ? La Nuit n'est pas le lieu du décompte. 

jeudi 7 juillet 2011

Le type qui crie

Le type qui crie. S'écrie. Comme l'histoire en train de s'écrire. Sous nos yeux ? Eh, peut-être !

mercredi 22 juin 2011

Le type qui certaines nuits de grand passage


Le type qui certaines nuits de grand passage préfère dormir avec sa montre et ses bagues, parfois sa chaîne de baptême au cou. Le type qui préfèrerait mourir avec ses bijoux.

mercredi 1 juin 2011

Le type qui croirait

Le type qui croirait à une infinité de choses. Qui ne jouerait jamais sans joie.

mardi 31 mai 2011

Le type qui voudrait mourir de la main humaine

Le type qui voudrait mourir de la main humaine. Au terme d'une rixe absurde, dans les bas-fonds portenos, songeant à Borges ? D'un coup de poignard coulant dans le dos « comme une poignée de neige » en forêt d'Argonne, rêvant de Gracq ? En tout cas d'une main humaine, pleine de rage mais d'angoisse et d'espérance.

mercredi 18 mai 2011

Le type qui pissait sa vie entière


Le type qui a une vessie de contenance très ordinaire, mais qui, un jour, fait le plus gros pipi du monde. Cela n’arrêtait pas, sortait sans effort et sans douleur, du moins au tout début. Puis les sensations vinrent, graduées, chatouillis, pincement, grattouillis, chaleur, froid, et avec elles les odeurs, amande, musc, liqueurs & vins, asperge, si caractéristique, figue, et après les odeurs, les émotions et les pensées, joies et désirs (ensemble, oui), angoisse, peur, sérénité, sentiment des lointains, enfin…
Il connaissait la légende qui veut que, au seuil de la mort, les images et souvenirs d'une vie défilaient en accéléré dans les esprits. Et bien, le type, il pissait là sa vie entière, par symptômes et par degrés. 

mardi 22 mars 2011

Le type qui se flatte


Le type qui se flatte de ce dont il n’est pas responsable. Son bonheur, ce sont les hauts faits des autres. Il ne s’agit pas de vanité déplacée, ou de mythomanie, non, mais du plus haut degré d’amour pour autrui. Aujourd’hui il fait beau, et je m’en réjouis. Thomas de Quincey a écrit Les derniers jours d’Emmanuel Kant, et je m’en vante.

jeudi 17 mars 2011

Le type qui écrit de la main gauche


Le type - il est droitier - qui n’écrit des poésies que de la main gauche.

mercredi 16 mars 2011

Le type en rogne contre l'auteur du bouquin


Le type qui en veut, presque systématiquement, à l’auteur du livre qu’il est en train de dévorer. Avec Javier Cercas – A la vitesse de la lumière -  ça l’a pris lorsque, peu après la moitié de l’ouvrage, le personnage perd sa femme et son fils, dans des circonstances accablantes de culpabilité. D’accord, on ne peut nier que l’élément dramatique, bien que convenu, est particulièrement fort, et qu’il relance efficacement l’attachement – l’identification compassionnelle, l’eleos grecque – au héros. Et il est exact que cette relance dramatique, le type qui lisait l’attendait, et qu’il l’attendait percutante, connaissant son Cercas. Déjà, dans Les Soldats de Salamine, le type avait ressenti une certaine déception mêlée d’agacement lorsque, à la fin, le héros/l’écrivain/leJavierCercasRéinventé retrouvait miraculeusement la pièce manquante de son puzzle historique. Etait-ce le journaliste et écrivain Javier Cercas qui avait mis la main sur l’ancien militant républicain Miralles ? (Dans ce cas Miralles était-il, oui ou non, le héros magnanime qui laissa la vie à Sanchez Mazas, le phalangiste, l’autre personnage central du roman ?) Ou était-ce le narrateur Cercas qui avait carrément inventé Miralles ? Bon, le type comprenait bien que l’auteur était tout à fait dans son droit en manipulant son récit et ses lecteurs. Cela était même le devoir, si l’on peut s’exprimer ainsi, du romancier, du bon romancier. L’illusion seule va vers la vérité – même si ce n’est pas en ligne droite : le type était prêt à faire sienne la maxime, quasi explicite, de ce « récit réel » en abyme. Le type, lui, l’aurait plutôt formulé comme cela : en art, (comme en amour), il n’y a pas de fausse morale qui tienne. Seul vaut le résultat : car en littérature comme en amour, la fin est le moyen. Mais tout de même, là, dans A la vitesse de la lumière, c’en était trop : tuer femme et enfant, si cela ne contient pas une part de vérité vraie dans la vraie vie, c’est…c’est, plus qu’immoral, sacrilège, et poisseux de tristesse ! Et en plus ça ne le fait pas, se disait le type, car, comme ce pervers de Carcas/narrateur l’écrivait lui-même, la pente qui mène le sentiment au sentimentalisme est glissante. Le type se dit qu’il fallait faire qqchose. Mais quoi, arrêter la lecture ? La frappe nucléaire, tout de suite ? Et une bombe qui ne dévasterait que son envoyeur, en fait, car qu’en aurait foutre Cercas, si même il l’apprenait un jour, que le type ait fait la grève de la lecture ? Alors quoi, lui écrire ? Faire un article ? Le type n’était pas écrivain, lui. Ou, s’il l’était (en tant que narrateur de quelque futur roman vicieux), il n’était pas sûr de vouloir attaquer comme cela, de face, un romancier aussi sympathique, par ailleurs, que cet Espagnol roué, mais franc dans son mensonge. Droit dans sa tricherie, l’enfoiré, se dit le type en souriant. 

mercredi 9 mars 2011

Le type des haies et des taillis


Le type qui pensait à vivre dans les haies et les taillis. Les fourrés, les haies et les taillis. Il ne se prenait pas pour un oiseau ou un rongeur, non. Il songeait seulement à répondre à un fantasme réactivé à chaque trajet à travers le beau pays de France. Fantasme un peu moins prégnant en ville qu’en campagne, mais tout de même, à Paris aussi, terrains vagues, parcs et jardins, maisons mortes et usines au chômage et « lieux incertains » l’attiraient. L’idée de vivre en marge, en cachette même, et sans responsabilité sociale ou familiale, il le savait, ressort sans doute d’une déplaisante déréliction. Mais il ne pouvait s’empêcher de faire comme s’il étudiait la possibilité de se mouvoir dans tel maquis, d’habiter tel bocage, de se nourrir dans tel parc. Pour l’eau, pas de problème ici, il y a un ruisseau. Il pesait les moyens de se prémunir du froid, et aussi de se dissimuler à la vue des humains, dans telle partie d’une forêt domaniale. Dans les haies et les taillis. La formule avait un côté livre de géographie de cours élémentaire, dans les années 70, les siennes. Faire partie de l’une de ces collections magiques, la faune des bois et des sous-bois, la flore des mares et des étangs, le type des haies et des taillis.